Que signifie l’expression « Se mettre sur son trente et un »

29/12/2021 4 min


Par Julien Soulié

Ne le niez pas, je suis sûr que vous y songez déjà depuis un petit bout de temps : votre soirée de la Saint-Sylvestre ! Dès Noël fini, il faudra se préparer, de nouveau, pour faire la fête. Alors qu’avez-vous choisi, cette année ? Une petite soirée chez vous, entre amis ? Une nuit blanche passée dehors ?  Ou un dîner romantique à deux dans un restaurant noyé sous des chandelles tremblotantes et des roses capiteuses ? En tout cas, ce qui est (presque) sûr, c’est que pour le 31, vous vous mettrez sur votre trente(-)et(-)un !


Mais pourquoi « trente et un » ? Pourquoi ce nombre qui ne renvoie pas à grand-chose, n’ayant pas, a priori, de valeur symbolique, comme trois, sept, cent ou… six cent soixante-six ?


Dans de beaux draps !

Notre expression semble intimement liée à l’univers du textile. Mais pourquoi trente et un ? Une première hypothèse repose sur une déformation de la locution se mettre sur son trentain. Trentain ?… Qui connaît encore ce vieux mot, hormis, peut-être, les spécialistes en linge de maison ? Le trentain était en fait une sorte de drap de luxe, uniquement porté par la haute société, et dont la chaîne était composée de trente centaines de fils. Quant à se mettre sur, cela aurait signifié « mettre sur soi ». Ces deux éléments n’étant plus compris, l’expression serait alors devenue se mettre sur son trente et un, c’est-à-dire s’apprêter pour une grande occasion. Quoi qu’il en soit, cette explication ne manque pas d’élégance pour votre Saint-Sylvestre… Du reste, les métaphores « textiles » ne manquent pas en français : si vous retournez votre veste, vous n’aurez guère l’étoffe d’un héros, vous risquez de vous en prendre une (de veste) et filerez un mauvais coton… À moins que tout cela ne soit qu’un tissu de mensonges ?


Trente et un, trente-deux…

On notera que le nombre exprimant le chic vestimentaire n’a pas toujours été fixe : on a dit autrefois « se mettre sur son trente-deux », « sur son trente-six », voire « sur son cinquante-deux » (mais où s’arrêteront-ils ?)… En 1885, dans le Journal des frères Goncourt (œuvre qui n’a pas de prix), on trouve ainsi : « Vous mettrez des bottines vernies ?… Mais vous aurez l’air d’un étudiant sur son trente-deux. » Et notre monumental Honoré (de Balzac) avait écrit en 1855, dans Ursule Mirouët : « Je vais me mettre sur mon cinquante et un. »


Il n’y en a pas trente-six !

Du reste, nos cousins québécois se montrent numériquement plus ambitieux que nous, puisqu’ils continuent à dire : « Tabarnak ! Tu t’es mis sur ton trente-six pour aller manger une poutine avec tes cheums ! » Mais il est vrai que trente-six exprime souvent un grand nombre indéterminé, comme lorsque vous voyez trente-six chandelles après vous être cogné(e) à cette superbe poutre apparente, alors qu’on vous avait répété trente-six fois de faire attention et que cela ne vous arrive pas seulement tous les trente-six du mois ! Justement, notre expression se mettre sur son trente et un serait peut-être en lien avec le nombre de jours dans un mois : le mois « normal » étant de trente jour, trente et un ferait allusion au jour en plus, le trente et unième, jour par conséquent spécial où l’on s’habillerait de manière exceptionnelle…


Le dessous des cartes

Mais on trouve aussi une autre origine à cette expression. Si vous jouez aux cartes, peut-être connaissez-vous le trente et un : il s’agit d’un jeu de cartes, fondé sur le principe du blackjack, dans lequel il faut totaliser 31 points avec trois cartes de la même couleur ou, à défaut, de s’en approcher le plus possible. Selon Émile Littré, trente et un étant le plus « beau » score à ce jeu et à d’autres, plus ou moins oubliés, se mettre sur son trente et un, ce serait, par métaphore, se vêtir de ses plus beaux atours…


Veste ou impair ?

Quoi qu’il en soit, se mettre sur son trente et un, comme bien d’autres expressions courantes, garde sa part de mystère étymologique – même s’il semble qu’elle n’ait aucun rapport avec la Saint-Sylvestre.


Voilà, votre cravate est nouée, il ne vous reste plus qu’à choisir votre veste pour être enfin sur votre trente et un. N’oubliez pas que, pour la soirée du 31, il n’y a pas trente-six solutions : il ne faut surtout pas commettre d’impair.

L’info en plus

Comme équivalent de se mettre sur son trente et un, les Anglais possèdent eux aussi une expression numérale : to dress up to the nines (mot à mot : « s’habiller jusqu’aux 9 »). Cette expression pourrait, elle aussi, avoir une origine « textile » (parmi de nombreuses autres conjectures étymologiques comme par exemple une référence aux neuf Muses de la mythologie grecque, déesses personnifiant les arts) : elle serait issue du 99e Wiltshire Regiment, soldats anglais qui, vers le milieu du XIXe siècle, se seraient rendus célèbres sous le nom de « The Nines » et étaient réputés pour leur uniforme tiré à quatre épingles.


Article rédigé par l’auteur Julien Soulié. Découvrez son portait ici.