Que signifie l’expression « Enfoncer le clou »

02/03/2022 3 min

par Julien Soulié 

– T’aimes bien bricoler, toi ?

– Euh… ouais, ouais…

– Mais si ! Je suis sûr que tu sais faire des trucs, quand même !

– Euh… vite fait, alors…

– Allez ! Je suis persuadé que tu sais quand même planter un clou, au moins…

– Sans m’écrabouiller les doigts, tu veux dire ?

Voilà à peu près à quoi ressemblerait un dialogue que je pourrais tenir avec un ami. Et je vous laisse deviner quelles répliques seraient de moi. Disons, pour enfoncer le clou, que ce n’est pas moi qui poserais les questions…


Le mal-aimé

Ô clou, objet si dérisoire et rikiki !

Qui donc pourrait te remplacer ? Mais oui, qui ? Qui ?

Le clou méritait bien un modeste éloge (en alexandrins) : s’il y a un objet indispensable au bricoleur, fût-il ignare et maladroit comme moi, c’est bien lui, modeste tige de métal qui n’a pas la grosse tête. Que vous souhaitiez accrocher sur votre mur fraîchement repeint une reproduction de Banksy ; que vous vouliez assembler votre nouveau lit king size ; que vous décidiez de refaire les bardeaux de votre toit… À qui faites-vous appel, à chaque fois, hein ? Au clou !


Mais si les bricoleurs lui rendent un hommage appuyé (pour ne pas dire martelé), ce n’est pas toujours le cas de la langue française et de ses expressions…


Si j’avais un marteau

Prenons notre locution : enfoncer le clou, qui signifie, par métaphore, « répéter la même chose inlassablement et avec insistance ». Elle est certes très imagée, vivante, parlante : elle porte sur le terrain du 100 % concret une notion éminemment abstraite. Toutefois, elle ne va pas sans s’accompagner d’une certaine violence : on imagine sans peine le clou s’enfonçant à coups de marteau dans le crâne du récalcitrant qui s’obstine à ne rien vouloir comprendre… C’est toute la puissance du bricoleur (ou de la bricoleuse, il n’y a pas de raison) qui s’exprime alors, mais transposée dans le domaine de l’intellect.


Cette année-là

Le clou est un objet sans âge ; il remonte à la nuit des temps et à l’aube des civilisations. Les plus anciens dateraient d’il y a 5 500 ans et auraient été retrouvés sur une statue mésopotamienne, où ils servaient à fixer des feuilles de cuivre. Un peu moins loin de nous, les Romains utilisaient des clous en fer, notamment pour fixer les semelles des sandales des soldats. Sans eux, qui sait, les légions romaines auraient-elles conquis l’Europe et la Méditerranée ?


Notre locution est bien sûr plus récente, quoiqu’on ne sache pas la dater : d’abord enfoncer toujours le même clou, elle s’est simplifiée par la suite en enfoncer le clou.


Comme d’habitude

Dans cette expression, le clou ne renvoie donc pas à une idée positive – son petit côté pointu propice à estropier les doigts n’y est sans doute pas pour rien. Et, hélas pour lui, il est d’ordinaire associé à des expressions plutôt dépréciatives (comme si la langue s’ingéniait à dénigrer les objets banals les plus utiles) : river son clou à quelqu’un (« lui clouer le bec »), un vieux clou (« mauvaise bicyclette », « mauvaise voiture »), maigre comme un clou. Même quand il est en solo, ses emplois figurés revêtent des significations peu flatteuses : un clou désigne un furoncle ; et il se voit même réduit à néant dans les expressions ça ne vaut pas un clou et des clous !


Le clou méritait-il tant de mépris ? Quoi qu’il en soit, vous avez compris, inutile que j’enfonce le clou ou, pour arrêter de taper sur ce pauvre petit être de métal sans défense et employer une locution issue elle aussi du bricolage, inutile d’en rajouter une couche.

L’info en plus

Nos cousins québécois, jamais en reste d’expressions truculentes, utilisent la locution cogner des clous, qui signifie « somnoler en position assise », « lutter contre le sommeil ». Très imagée, elle fait référence aux mouvements de la tête qui ne cesse de tomber et de se redresser… comme un marteau qui plante des clous.


Article rédigé par l’auteur Julien Soulié. Découvrez son portait ici.