Que signifie l’expression « Crier sur les toits »

19/05/2022 3 min
crier sur les toits expression

par Julien Soulié


Depuis Paul Verlaine, nous le savons bien :

« Le ciel est, par-dessus le toit,

Si bleu, si calme !

Un arbre, par-dessus le toit,

Berce sa palme. »

C’était la minute poésie. Merci, Paul, pour ces quelques instants de zénitude.


Faîte du bruit !

Bon, désolé d’être aussi terre à terre, mais il faut avouer que la voûte céleste, de nos jours, n’est plus forcément si calme : le trafic aérien y déverse ses milliers de décibels, et, quant aux toits, combien de films et de séries, de Fantômas jusqu’à Spiderman, nous ont livré des bastons et des courses poursuites survoltées dans la jungle des tuiles, des ardoises et des cheminées ?

Les sommets de nos maisons, immeubles et buildings semblent devenus le royaume du boucan, du ramdam, du raffut, du vacarme, bref : du bruit sous toutes ses formes les plus subtilement extrêmes. Ne conviendrait-il pas de s’en plaindre et d’aller le crier sur les toits ?


Une sacrée expression

Depuis quand crie-t-on sur les toits ? Et pour quoi faire ? Le sommet et l’extérieur sont-ils le lieu pour se livrer à ce genre d’exercices vocaux ? Ne vaudrait-il pas mieux crier chez soi, à l’intérieur, afin de respecter un peu de pudeur et de discrétion ?

Eh bien, figurez-vous qu’il faut remonter à la Bible, rien que ça, pour comprendre pourquoi l’on crie sur les toits. En ces temps-là, les toits des maisons étaient plats (exit les formes architecturales les plus rococo de nos constructions contemporaines : hémisphériques, pointues, inclinées, dentelées…). Ce qui en faisait des espaces parfaits pour sociabiliser : à l’époque, on ne papotait pas avec le voisin depuis son jardin, par-dessus sa haie de troènes ou ses plants de salades, en se plaignant du temps qu’il fait ; on l’interpellait carrément depuis son toit-terrasse et, ainsi, on criait sur les toits.

Si l’expression telle quelle n’est apparue et popularisée qu’au XVIIIe siècle dans une lettre de Voltaire, on trouve déjà dans l’Évangile selon saint Luc son équivalent légèrement plus… religieux : « Car ce que vous aurez dit dans les ténèbres, se publiera dans la lumière ; et ce que vous aurez dit à l’oreille dans une chambre, sera prêché sur les toits. »


Toi, toi, mon toit

Mais finalement, ces toits-terrasses bibliques étaient-ils si différents des roof tops (en bon français) d’aujourd’hui, furieusement tendance dans nos grandes villes, ces espaces « entre deux », à la fois intérieurs et extérieurs, intimes et publics, en altitude mais accessibles, lieux de sociabilisation et d’isolement, bien ancrés sur notre terre mais tutoyant l’infini firmament ? (Oui, revoilà la minute poétique, mais à mon humble niveau, pardon Paul.)

Quoi qu’il en soit, excepté les minarets du haut desquels les muezzins continuent de crier sur les toits, notre expression semble avoir délaissé toute symbolique sacrée et ne s’emploie plus que pour évoquer familièrement la divulgation d’une information urbi et orbi (tiens, une autre locution religieuse, catholique celle-là), comme dans : « C’est le premier anniversaire de Recto & Verso, crions-le sur les toits ! »

À moins que la convivialité ne soit devenue notre nouvelle religion ?

L’info en plus

Le nom toit, par métonymie, peut désigner un abri, un refuge (« posséder un toit », « être sans toit ») et se rapproche alors d’un mot plus ancien : le couvert. Celui-ci a donné naissance à une locution souvent mal comprise : le vivre et le couvert, qui signifie « la nourriture et le gîte », souvent déformée en le gîte et le couvert, ce qui constitue alors un beau pléonasme !


Article rédigé par l’auteur Julien Soulié. Découvrez son portait ici.