Que signifie l’expression « Pendre la crémaillère »

22/05/2021 3 min

Par Julien Soulié 

pendre la cremaillère

Voilà, les cartons sont vidés, les livres sont rangés dans la bibliothèque, les vêtements dans la penderie, les casseroles dans les placards, la box Internet est branchée : vous êtes enfin dans votre nouveau chez-vous.

Il ne manque que les cocktails, les apéros et les amis qui vont avec, pour fêter l’emménagement (dans le respect des gestes barrières, bien sûr !). Ça tombe bien : ce soir, c’est justement votre pendaison de crémaillère… Sauf qu’il y a belle lurette qu’on ne pend plus réellement la crémaillère dans les maisons ou les appartements. La chose semble avoir disparu… mais le mot a survécu. Qu’est-ce que c’est, d’ailleurs, cette crémaillère ? Et pourquoi la pendait-on ?


Un peu de suspens

Au départ, il y a le mot grec kremastêr signifiant « qui suspend ». Au XIIIe siècle, le français l’emprunte sous la forme carmail, auquel un petit suffixe est ajouté pour donner la carmailliere. À l’époque, ce terme a déjà le sens qu’il conservera sous la forme crémaillère : une tige de fer crantée que l’on place dans une cheminée et à laquelle on suspend la marmite – autant dire : le centre de la cuisine, le cœur du home sweet home de l’époque (même si les homes étaient sans doute moins sweet qu’aujourd’hui !)…


L’heure de la pendaison

À partir du XVIIe siècle apparaît l’expression pendre la crémaillère : au sens propre, il y a donc ce geste de suspendre la marmite à cette tige. Mais au figuré, l’expression passe du concret à l’abstrait ; elle en vient à symboliser la consécration de l’emménagement et désigne alors la fête que l’on organise pour célébrer cette installation : comme le dit si joliment Stendhal, « Nous donnâmes une fête de fort bon goût pour pendre la crémaillère. »


La crémaillère, c’est la fête

Par la magie de l’ellipse, la locution pendre la crémaillère se voit ensuite raccourcie en crémaillère : notre ancienne tige de fer devient alors synonyme, à elle seule, de « fête d’emménagement » ; et cette fois, c’est Zola qui s’y colle (dans L’Assommoir) : « La crémaillère fut très gaie. »

En fait, ces deux évolutions de sens se comprennent facilement : on passe de la tige supportant la marmite au moment où l’on invite ses amis à son accrochage. Puis, il n’est même plus besoin d’accrocher de crémaillère dans nos logements 2.0, si bien que l’objet disparaît de nos mémoires ; seule subsiste la fête qu’il a donnée, sorte de communion conviviale autour d’un bon repas…


Au pays du bien-manger

À dire vrai, le terme n’a pas tout à fait disparu : il est encore utilisé dans le vocabulaire technique, où il désigne toujours une pièce ou une tige à crans : les crémaillères d’une bibliothèque, par exemple, ou encore la direction à crémaillère d’une automobile.

On est alors bien loin du gueuleton organisé pour vos convives ! Quoi qu’il en soit, cette expression et son évolution illustrent bien l’importance cruciale de la nourriture pour les Français ; car finalement, au pays où le bien-manger est roi, quoi de plus naturel que d’associer l’emménagement à un chaleureux festin ?

Et puisque vous n’allez pas réellement pendre la crémaillère, quels ustensiles – et quelles expressions – allez-vous utiliser pour faire la fête avec vos amis ?

L’info en plus

D’autres locutions expriment l’idée de fête inhérente à la pendaison de crémaillère : faire bombance, faire la java, la nouba, la bringue, la bamboche, la teuf ou, un peu désuet, faire ribote, et, plus récents, s’enjailler et faire la chouille.


Article rédigé par l’auteur Julien Soulié. Découvrez son portrait ici.