Que signifie l’expression « Toucher du bois »

18/02/2022 4 min


Par Julien Soulié

Pour se remettre de Noël et du Jour de l’An (et des excès en tous genres y afférents), il n’y avait pas trente-six solutions : il fallait se mettre au vert. Ou plutôt au blanc… et au reblochon : en l’occurrence, la Haute-Savoie m’a accueilli dans ses bras de neige. Et là, décor irréel de carte postale (photos sur demande, n’hésitez pas) : vue enchanteresse sur le lac d’Annecy, cimes enneigées qu’embrase le soleil levant ou couchant (au choix), régalade en raclette et balade en raquettes… Sans omettre, bien sûr, le petit chalet accroché à la montagne. Et, évidemment, ce mazot était tout de bois vêtu : du parquet jusqu’au faîte, en passant par les solives et le plafond, tout n’était que teintes chaudes et réconfortantes.


Vous voyez où je veux en venir : pendant quelques jours bénis, j’ai touché du bois dans mon petit paradis hygge…


Magie, magie

Toucher du bois est l’une des rares expressions qui s’accompagnent d’un geste : vous imposez votre main ou vos doigts sur la noble matière afin de conjurer le mauvais sort (quand on veut faire classe – et un chouïa pédant –, on parle de geste « apotropaïque ») ou d’appeler la chance, en énonçant avec conviction la phrase rituelle : « Je touche du bois ». Les deux sont indissociables, semble-t-il : il faut joindre le geste à la parole, sinon la formule magique ne fonctionnera pas. Du coup, dans un chalet des alpages, vous n’avez que l’embarras du choix et la chance ne peut que vous sourire à tous les coins de meubles.


Mais une question demeure : pourquoi cette expression superstitieuse ne marche-t-elle qu’avec le bois ? Pourquoi pas la pierre ou une partie du corps humain, par exemple ?


Du bois mis en Perse

Comme toutes les superstitions, celle-ci remonte, sinon à la nuit des temps, du moins à l’aube de nos civilisations : dans de nombreuses cultures, le bois était une matière sacrée, vénérée. Dès le 7e siècle avant notre ère, les Perses touchaient du bois, car il contenait le feu sacré d’Attar, divinité du feu qui ainsi leur assurait sa protection. Et c’est comme ça, par exemple, que les sorts mûrs de Persans conjurèrent les morsures de serpent…


Un peu plus à l’ouest, chez les Égyptiens, on croyait dur comme fer – ou plutôt comme bois – que ce dernier possédait un magnétisme bienfaisant : à son contact, on était assuré de jouir d’une bonne santé.


En remontant un peu vers le nord (et en avançant de quelques siècles), de nombreux arbres étaient les symboles de dieux et déesses dans la mythologie grecque : le chêne pour Zeus, l’olivier pour Athéna, le pin pour Poséidon…


Superstition, religion, sacré : le bois, c’est tout cela à la fois ! Ne l’oubliez pas, la prochaine fois que vous aurez à choisir entre chêne, mélèze et châtaignier pour refaire le bardage de votre chez-vous !


Croix de bois…

Les chrétiens, d’ailleurs, ne furent pas en reste : au Moyen Âge, on touchait du bois en référence au Christ, qui avait été sacrifié sur une croix en bois, afin d’éloigner malheur et malchance.


Depuis lors, nous touchons du bois à tout-va – être superstitieux ne coûte pas grand-chose. D’autant qu’après des décennies de disgrâce, de nombreuses essences sont redevenues tendance tous azimuts, que ce soit pour la construction ou la décoration. Sans même parler de la sylvothérapie, cette pratique venue du Japon et qui vous plonge dans un « bain de forêt » bénéfique : si faire des câlins aux arbres ne vous fera probablement pas gagner au loto, du moins il paraît que cela fait du bien à l’âme et au corps.


En tout cas, mon petit chalet savoyard 100 % bois m’a fait grand bien. Alors, que vous soyez plutôt zen ou plutôt hygge, peu importe : vous aimez le bois et il vous le rend bien… Et qui sait ? Peut-être, dans quelques décennies, ne dira-t-on plus « toucher du bois », mais « câliner du bois »…

L’info en plus

« Toucher du bois » a son équivalent dans bien des langues – preuve, si besoin était, de l’universalité du symbolisme du bois : to touch wood au Royaume-Uni, to knock on wood (« taper sur du bois ») aux États-Unis, tocar madera (« toucher du bois ») en Espagne, auf Holz klopfen (« taper sur du bois ») en Allemagne, « frapper sur du bois non peint » en Pologne, « frapper du bois » en Grèce… Mais les Italiens préfèrent toccare ferro (« toucher du fer »), mamma mia !


Article rédigé par l’auteur Julien Soulié. Découvrez son portait ici.