Que signifie l’expression « Les murs ont des oreilles »

28/05/2021 3 min

par Julien Soulié 

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Ça y est, vous allez repeindre la chambre du petit dernier. Depuis le temps que c’était prévu… Avec votre truelle, vous appliquez d’abord la sous-couche pour reboucher tous ces petits trous créés par le temps. À moins que… Votre imaginaire s’emballe soudain : vous vous identifiez à Bond, James Bond. Et si ces petits trous étaient autant de micros ? Car vous le savez : les murs ont des oreilles


Espionnite et paranoïa

Drôle d’expression, n’est-ce pas ? Cette personnification a quelque chose d’incongru, voire d’absurde : imagine-t-on concrètement un mur doté d’oreilles ? Quoi qu’il en soit, les espions connaissent bien cette locution qui sous-tend une certaine paranoïa : on est épié, observé, surveillé, tout le monde nous écoute sans que l’on s’en doute…


Entre murailles et murs

Cet espionnage n’est pas si récent que cela : l’expression remonterait aux années 1620, sous la forme les murailles ont des oreilles. Est-ce un hasard si elle naît à peu près sous le règne de Louis XIII, dont le ministre était un certain Armand Jean du Plessis de Richelieu ? Car le célèbre cardinal est celui qui va instaurer l’absolutisme royal, la centralisation du pouvoir et, accessoirement, créer le premier système d’espionnage à la française.

Selon certains, l’expression remonterait même avant, à la reine Catherine de Médicis (épouse d’Henri II) : à l’époque des guerres de religion, elle aurait fait installer dans le palais du Louvre, vers 1570, tout un système de tubes acoustiques afin d’espionner et de débusquer les protestants.

Dès la fin du XVIIe siècle, ce ne sont plus les murailles, mais les murs – plus fins, plus courants, plus nombreux – qui commencent à avoir des oreilles. L’espion n’est plus alors seulement en dehors de la ville fortifiée, mais il s’immisce à l’intérieur, partout…


L’espion prend Racine

D’ailleurs, l’angoisse d’être espionné est telle que, non contents d’être doués d’ouïe, les murs ont aussi pu posséder le don de voir, par exemple chez Racine, dans Britannicus (1669) : « Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux ». En l’occurrence, il s’agit de l’empereur romain Néron – parano, comme tous les despotes –, à l’affût de potentiels ennemis. Il est vrai, à sa décharge, qu’il eut à déjouer un certain nombre de complots…


Le nerf de la guerre

La suite de l’histoire prouve que les murs ont bien des oreilles (et des yeux) : les États manifestant de plus en plus fort leur envie de s’entre-zigouiller (notamment au XXe siècle), il est logique que notre expression fasse une belle carrière linguistique. Que ce soit pendant la Résistance ou lors de la guerre froide, l’espionnage mondialisé contraint les différentes parties à crypter leurs messages afin d’éviter les oreilles trop indiscrètes…


C’est vraiment cyber !

Ces écoutes sont tellement omniprésentes que l’expression en est venue à s’appliquer plus généralement à notre vie quotidienne : au bureau, lors d’une conversation avec un collègue qui se plaint de l’incompétence du manageur, rien ne vous empêche de lui susurrer, avec un air de conspirateur : « Chuuuut ! Les murs ont des oreilles ».

D’ailleurs, dans notre monde contemporain hyper-connecté, il faudrait sans doute moderniser cette expression. Désormais, je propose que nous disions : « Les murs ont des cyberoreilles ! »

Mais ce n’est pas tout ça : vous avez un mur à repeindre… et le petit dernier surveille l’avancée de votre besogne. Allez, au boulot !

L’info en plus

D’autres locutions ont été formées sur le nom mur : faire le mur, entre quatre murs, raser les murs, autant parler à un murou encore aller droit dans le mur. Dans tous les cas, on s’aperçoit que le mur, symbole d’enfermement, de danger ou d’obstacle, n’est jamais associé à quelque chose de positif…


Article rédigé par l’auteur Julien Soulié. Découvrez son portrait ici.