Que signifie l’expression « Faire tapisserie »

par Julien Soulié

Voilà l’été, voilà l’été…

Les beaux jours arrivent et c’est le temps des barbecues qui fleurent bon le grillé et l’amitié.

Mais c’est aussi la période des travaux dans la maison, toutes fenêtres ouvertes et tous outils tintinnabulant dans l’air chargé de pollens allergènes… Voilà bien l’occasion de (re)faire la tapisserie du salon (qui en a bien besoin). Mais attention : ne confondez pas faire la tapisserie et faire tapisserie : votre dignité risquerait d’en prendre un coup…

Votre tapisserie, vous la voulez avec des licornes ?

Rappelons tout d’abord ce qu’est une tapisserie : « un panneau d’étoffe ouvragé que l’on pose le long des murs » ; puis, par extension, la tapisserie en est venue à désigner un papier peint tendu sur les murs – celui-là même que, parce que vous avez l’étoffe d’un bricoleur ou d’une bricoleuse, vous souhaitez refaire dans votre salon (si vous avez bien suivi).

Mais à l’origine, la tapisserie, c’était autrement coton (si j’ose dire) : puisant ses origines à Babylone, en Égypte et dans la Grèce antique, ce fut un art à part entière, qui consistait à tisser manuellement des panneaux sur un métier en intégrant les sujets représentés dans la trame même du tissu. On connaît, par exemple, la célèbre tapisserie de la Dame à la licorne (fin du XV^e siècle). Mais bon, aujourd’hui, si vous envisagez des licornes sur la tapisserie de votre salon (chacun ses goûts, je ne juge pas), il y a plus simple et moins cher !

Brodons sur la tapisserie

D’ailleurs, petit scoop : l’autre célèbre « tapisserie », celle de Bayeux (réalisée au XI^e siècle et racontant l’épopée du Normand Guillaume le Conquérant, devenu roi d’Angleterre en 1066), n’en est pas une, de tapisserie : il s’agit en réalité d’une broderie, car les fils recouvrent un motif déjà dessiné – et ça, ça change tout, je vous l’assure (dit-il avec l’air assuré de celui qui veut passer pour un expert des plus exigeants).

Mais cela ne nous explique toujours pas pourquoi l’on dit « faire tapisserie » et non « faire broderie »…

Alors on danse (ou pas)

L’expression faire tapisserie est en réalité assez récente : elle remonte au début du XIX^e siècle. À l’époque, lorsque l’on donnait des bals, certaines jeunes filles venaient sans cavalier ou n’étaient pas invitées à danser ; elles restaient collées aux murs (recouverts de tapisseries), tellement immobiles qu’elles semblaient se fondre dans le décor et devenir un personnage de ces tapisseries… On disait alors d’elles (oui, car, forcément, à l’époque, le sexisme régnait en maître incontesté) qu’elles « faisaient tapisserie ». Par extension, faire tapisserie s’emploie aussi pour qualifier des personnes qui participent à une activité ou à une discussion sans y prendre part – comme on pourrait dire aujourd’hui, en échangeant de l’art du tissage pour celui de la céramique, qu’untel ou une telle « joue les potiches ».

Attention, donc, à ne pas omettre l’article la, si vous voulez vraiment faire la tapisserie : un seul mot vous manque, et tout est modifié !

L’info en plus
L’énigmatique tapisserie de la Dame à la Licorne, réalisée entre 1484 et 1500, est composée de six panneaux, les cinq premiers illustrant les cinq sens, le sixième représentant une tente bleue surmontée de l’inscription « à mon seul désir »… Sur chaque panneau, le principe est le même : sur un fond rouge parsemé de fleurs, une jeune dame accompagnée d’une licorne évolue sur une île de verdure… Si vous voulez vous en inspirer pour refaire la vôtre, sachez que la tapisserie de la Dame à la licorne est visible à Paris : elle est conservée au musée de Cluny, qui vient juste de rouvrir après 20 mois de travaux…

Article rédigé par l’auteur Julien Soulié. Découvrez son portait ici.